Eye Energy
En 2020-2021, Cyril Crignon et Laetitia Legros ont proposé aux étudiant·es inscrit·es en deuxième année sur le site dunkerquois de l’Ésä, l’AIRC (Atelier d’Initiation à la Recherche Création) Eye Energy opportunément ponctué par les interventions du scientifique Kamil Fadel (responsable du département Physique du Palais de la découverte de Paris) et de l’artiste Claire Williams.
Eye-Energy s’est inscrit dans la continuité du travail sur les procédés de communication et de transmission qui avait été engagé l’année précédente dans l’atelier Colimaçon (un titre choisi en référence à un article du philosophe Justin E. H. Smith portant sur « l’internet des escargots ».)
Interrogeant au départ les modes d’organisation et de production de nos systèmes de communication et de transmission, cet AIRC s’est orienté cette année-là vers la dimension spatiale, visuelle et « énergétique » de ces phénomènes, dont les observations et les relevés ont nourri des créations individuelles ou collectives.
La difficulté et le défi artistique qu’impliquent cette expérience tient ici au fait que nul ne sait au juste ce qu’est l’énergie, si ce n’est ce qui, ne pouvant être ni créé, ni détruit, permane à travers un changement d’état. La définition qu’en donne la physique en fait le potentiel pour briller, onduler, ou se mettre en mouvement et, plus largement, toute capacité à agir ou à faire un travail, entendu comme l’acte physique qui produit un changement de configuration dans un système en opposition à une force qui résiste à un tel changement. On peut donc s’accorder autour d’une conception large de l’énergie qui y voit la capacité à transformer un système, — ce processus pouvant impliquer n’importe quel type d’énergie — et estimer qu’il vaut mieux tenter de décrire, d’apprécier et de comprendre l’énergie à travers son potentiel, sa présence et ses conséquences.
Sur des propositions croisant des enjeux et réflexions multiples, propres à l’expérience du dessin, aux procédés algorithmiques, à l’image, au montage, à la muséographie, aux procédés d’impression et d’édition, les étudiant·es furent alors amené·es à composer le prototype d’un musée énergétique, en se saisissant d’une proposition introduite par Alexander Dorner. Dès 1947, ce directeur de musée légendaire et promoteur d’artistes d’avant-garde, tels qu’El Lissitzky et László Moholy-Nagy, en appelait, en effet, à un « nouveau type d’institution artistique » :
« Ce musée d’art d’un genre nouveau doit, non seulement, ne pas être un musée d’« art » au sens statique qu’a traditionnellement ce terme ; mais, à strictement parler, il ne doit pas être un « musée » du tout. Tandis qu’un musée conserve des valeurs et des vérités prétendument éternelles, notre nouveau spécimen serait une sorte de centrale électrique ou un producteur d’énergies nouvelles1. »
Cette vision d’un « musée vivant », qui produirait au lieu de conserver, a trouvé des incarnations approximatives ou ponctuelles dans les aménagements muséaux réalisés par Dorner lui-même, dans des expérimentations de Yona Friedman ou encore dans l’Open Sky Museum conçu à l’invitation d’Eden Morfaux. L’idée dornerienne d’un musée qui puisse être qualifié d’ « énergétique » reste cependant hautement spéculative. En tant que telle, elle ne peut, à l’évidence, trouver de réalisation pleine et entière ou achevée ; et c’est pourquoi on ne peut jamais en construire qu’un prototype.
Mais qu’est-ce, au juste, qu’un prototype ? Et comment concevoir l’enveloppe externe aussi bien que l’organisation interne d’un bâtiment destiné à laisser les énergies circuler, all-over et all around ? Est-ce que les œuvres feront le musée, ou bien est-ce que le musée fera œuvre ? Comment ces productions qui procéderont d’une tentative visant à capter, enregistrer, transcrire, générer et transmettre des systèmes de communication, des langages, des énergies pourraient-elles faire musée ? Il est, dans un premier temps, demandé aux étudiant·es de lister des énergies, mais encore des actions et modes de propagation de ces énergies ; de regrouper des éléments (textes, visuels, etc.) de manière à cerner un champ de recherche, à définir des centres d’intérêt, à formuler des enjeux et des interrogations, mais aussi de sorte à regrouper des sources d’inspirations, à faire des schémas, des croquis, à produire du dessin pour visualiser graphiquement ces énergies, ces phénomènes et ces objets.
Les expérimentations qui ont été men ées dans le cadre de l’AIRC Eye Energy ont connu un moment de stabilisation lors de l’exposition du même nom présentée du 25 juin au 2 juillet 2021 sur le site dunkerquois de l’école. Ont été réunies les productions d’Omaima Annouar, Lya Cailliau, Margaux Cornuwel, Louis Dantin, Lola Demazeux, Xiaoyu Ding, Léa Dromas, Jules Faillie, Oussama Illougui, Jamal Merawa, Milena Nastasi et Alexia Rabenja Drogerys, — lesquelles esquissaient de concert un petit musée énergétique, en ce qu’elles procédaient toutes, à leur manière, d’une tentative visant à capter, à enregistrer, à transcrire, à générer, à transmettre ou à inscrire dans des systèmes de communication ou des langages, des énergies.
L’AIRC a ensuite muté sous l’intitulé X-Y Files pour s’intéresser aux modes de captations, d’inscription, d’enregistrements et aux notions de documentation et d’interface. De l’atlas des indétectables (projet initié par Emmanuel Grimaud), aux circuits faibles, l’AIRC évolue aujourd’hui vers la notion de circuitage, qui rejoindra autrement les réflexions sur l’énergie.
- Alexia Rabenja Drogerys, Energetic Flow, vidéo 3D, 1 min, 2020-2021 © Alexia Rabenja Drogerys
- Alexia Rabenja Drogerys, Energetic Flow, vidéo 3D, 1 min, 2020-2021 © Alexia Rabenja Drogerys
- Alexia Rabenja Drogerys, Energetic Flow, vidéo 3D, 1 min, 2020-2021 © Alexia Rabenja Drogerys
Par cette réalisation en 3D, j’ai cherché à concevoir une architecture qui utilise les énergies renouvelables, en m’intéressant au fonctionnement des énergies éoliennes, solaires et hydrauliques. Au milieu d’une étendue d’eau, cette architecture flottante accueille et recycle les forces que la nature lui offre – l’eau, le vent, la pluie, la lumière -, par lesquelles elle s’anime et voyage vers de nouveaux horizons.
Cet instrument fonctionne avec vous : les flux électriques des corps, leur conductivité, permettent d’activer des notes à la manière dont un appui déclenche un son sur un synthétiseur. Cette harpe permet à un groupe de jouer si tout le monde se tient la main en cercle ; le flux passera alors à travers chaque corps. Bien-sûr, il est possible d’expérimenter cette manière d’interagir.
Antennes réalisées dans le cadre d’un workshop animé par Claire Williams en 2021. Premier exercice de ce qu’Emmanuel Grimaud nomme la « captologie sauvage », nous disposant à sonder la magnétosphère dans laquelle nous baignons et à éprouver les ondes parasitant notre biotope comme autant d’intraçables.
- Alexander Dorner, Le dépassement de l’« art » [1947], trad. de l’ang. (USA) Cyril Crignon, ill. K.-T. Pham, Paris, Presses Universitaires de Paris-Nanterre, coll. « Frontières de l’humain », 2022↩